Sébastien HEURTEAU (8 ans de pratique au Japon) le 14 octobre 2014
Le 14 octobre 2014
Aïkikaï, Hombu Dojo, Tokyo, Japon, des noms qui resonnent souvent dans nos têtes, dans nos rêves. La plupart d'entre-nous n'aurons peut-être jamais la chance d'aller pratiquer sur ces tatamis sacrés, aussi lorsque Pascal Norbelly Sensei nous propose de recevoir un aïkidoka qui les a foulés pendant 8 années, c'est une partie du rêve qui devient réalité.
Sébastien Heurteau nous a démontré ce soir que l'Aïkido est aussi une affaire de sensation, de ressenti entre deux partenaires. Voici donc, aux travers de quelques questions, un moyen de mieux connaitre Sébastien, celui qui nous a fait sentir une approche japonaise, une "Aïkikaï touch" de notre pratique, nous ouvrant ainsi d'autres portes sur cette voie si difficile à suivre.
- Peux-tu nous préciser les grandes étapes de ta pratique des arts martiaux ?
J’ai fait un peu de judo lorsque j’étais enfant, mais je préfère dire que ma pratique des arts martiaux se limite à l’aïkido qui remplit ma vie depuis 25 ans maintenant.
Cependant, lors de mes 8 années passées au Japon, j’ai bien été tenté plusieurs fois par d’autres arts comme le iaido et le kyudo mais l’aïkido me prenait tout mon temps. C’est dommage car j’utilise de plus en plus le ken comme outil pédagogique dans ma pratique et j’ai toujours été fasciné par la manière de sortir le sabre en iaido.
- Comment s'est passé ton premier contact avec l'Aïkido ?
J’avais 14 ans, je venais de faire 7 ans de patinage artistique à un bon niveau, pour les connaisseurs de cette discipline, j’étais particulièrement bon dans le double axel. Mais ça, c’était avant !!!!
Par hasard, à la sortie du collège, je suis tombé sur une photo publicitaire mentionnant l’ouverture prochaine d’un club d’aïkido. Déjà très attiré par la culture japonaise, ce qui me plaisait sur cette photo c’était de voir pour la première fois un hakama, ça faisait vraiment penser au Japon. C’est donc en ce mois de septembre 1990 que je me suis rendu au premier cours du club de Neuilly sur Marne qui venait d’ouvrir ses portes.
Lorsque je suis arrivé, il y avait le premier professeur qui attendait sur le tapis, une autre personne devant moi qui se tenait debout devant un bureau où était assis le premier président qui m’a alors dit que j’étais le deuxième pratiquant inscrit du club. Quand je repense à cela après 25 ans ça fait drôle. Encore plus drôle d’y être maintenant l’enseignant.
"..j'étais le deuxième pratiquant inscrit du club ..."
- Tu as beaucoup parlé de ton séjour au Japon dans d'autres interviews. Si tu ne devais retenir qu'une seule chose de ce séjour quelle serait-elle et pourquoi ?
C’est certainement la question la plus difficile de cette interview, car j’ai vécu tellement de choses au Japon qu’il m’est difficile voir impossible de n’en retenir qu’une seule. Je me permettrais donc d’en mentionner plusieurs.
A cette question, comment ne pas parler avant toutes choses de ma rencontre avec ma femme Hitomi, qui a beaucoup contribué à rendre tout cela possible. Elle m’a beaucoup aidé et soutenu durant les moments difficiles. Elle a su m’apporter un certain équilibre qui me manquait dans ma vie, même bien avant le Japon. Elle-même pratiquante d’aïkido, elle a toujours compris et accepté mes choix.
La deuxième est évidement ma rencontre avec mes sensei et tout ce temps passé ensemble en dehors des tatamis à parler de choses et d’autre. J’ai finalement réalisé mon rêve en découvrant qui se cache derrière les techniciens. Quels hommes sont-ils ? Sont-ils aussi et toujours des maîtres au-delà de la technique ?
Après, dans les choses à retenir j’ai beaucoup été frappé par la société japonaise. Une société qui a certes ses défauts comme partout mais j’ai découvert un pays organisé, soudé, rigoureux efficace…tant de qualificatifs que j’aimerais retrouver dans mon pays.
- Dans une de ces autres interviews, tu parles de "transmettre un Aïkido Aïkikaï tel qu'il est pratiqué aujourd'hui au Japon". C'est quoi "un aïkido Aïkikaï" ?
On me pose souvent cette question. Pour certains, l’aikikai est un groupe, une organisation qui regroupe plusieurs écoles d’aïkido. Je ne suis pas d’accord avec cela. Pour moi, l’aikikai est une école avec ses propres codes… Il y a beaucoup de manières et de styles différents de pratiquer l’aïkido dans le monde. Beaucoup d’autres écoles avec des conceptions et des principes différents existent comme par exemple l’école Iwama (fondée par Saito sensei), l’école Shodokan (fondée par Kenji sensei) ou encore l’école Yoshinkan (fondée par Shioda sensei) et bien d’autres encore. Toutes ces écoles pratiquent l’aïkido mais il me semble que leurs codes et principes sont bien différents de ceux prônés par l’aikikai de Tokyo avec le Doshu à sa tête. C’est ce qui rend notre art si riche et si intéressant.
L’aikikai c’est aussi le centre mondial, la maison mère ! Ce qui me gêne, c’est le business qui peut y avoir derrière les remises de grades aikikai. Beaucoup d’aikidokas à travers le monde veulent la reconnaissance de l’aikikai… Même ceux qui ne sont jamais allés au Japon… Même ceux qui ne se reconnaissent pas dans les codes et les principes de cette école. Prenons comme exemple l’aikikai de Tokyo où enseignent le Doshu et bon nombre de sensei, qui malgré leurs différences de style ou de forme technique, pratiquent tous un aïkido aikikai.
Pour répondre plus précisément à la question posée, il nous faut définir les principes et les points communs à tous ces sensei afin de comprendre ce qu’on entend par un aïkido aikikai. Pour avoir vu évoluer tous les sensei de cette école et après en avoir parlé avec certains d'entre eux, on retrouve très nettement une envie de construire un centre fort avec des jambes mobiles et des épaules et des bras relâchés. La volonté de garder une attitude du corps en respectant l’axe vertical est aussi très forte. L’ukemi est généreux mais uke n’est pas dans une obsession de la chute comme on peut le voir ailleurs. La relation avec l’autre est au cœur de la technique, attaquer et chuter immédiatement n’a que peu d’intérêt, sauf pour les démonstrations !! Comme j’aime le répéter, la démonstration et l’entrainement sont deux choses différentes et bien distinctes au Japon. Le fond prime sur la forme. Pour finir, la plus grande caractéristique de cet aïkido aikikai est selon moi sa volonté d’ouverture universelle chère à Osensei qui voulait que son art puisse être pratiqué par tous. C’est pour cela que tous les sensei de ce dojo pratiquent un aïkido accessible à tous puisqu’ils ne se basent pas sur les aptitudes physiques qui, à terme, seront amenées à décliner.
Selon moi, revendiquer son appartenance à l’aikikai, c’est faire le choix de proposer un travail accessible à tous en essayant le plus possible de respecter les principes cités au dessus. Or quand je vois dans d’autres pays et notamment en France, des cours et non des démonstrations, avec des mouvements basés sur la vitesse d’exécution où uke a la tête à 2 cm du tapis et les pieds en l’air au-dessus de la tête du Tori, je me demande si tous les pratiquants présents sur le tapis en sont capables ? Évidement non !! Seule une poignée de pratiquants est capable de réaliser ce genre de chutes, le plus grand nombre lui en est souvent limité pour cause d’aptitude physique ou d’âge avancé. Le rôle du sensei revendiquant son appartenance à l’aikikai, de par sa pratique ou ses grades, devrait précisément proposer un travail réalisable par tous. Il est facile pour moi de parler de ce sujet, car j’ai eu l'honneur de participer à plusieurs démonstrations avec Kobayashi sensei au Japon et lorsqu'on regarde les vidéos de certaines de ces démonstrations, j’ai moi aussi à certain moment la tête à 2 cm du tapis et les pieds en l’air, c'est normal, nous sommes dans une démonstration. Durant son cours, Kobayashi sensei préviligera plutôt les chutes arrière ou avant bien plus accessibles à l'ensemble des pratiquants et qui ne dénaturent en rien le travail de qualité.
"..Selon moi, revendiquer son appartenance à l'Aïkikaï, c'est faire le choix de proposer un travail accessible à tous..."
- Comment définirais-tu ton aïkido ?
Il est encore un peut tôt je pense pour parler de « mon » aïkido. Je me considère avant tout encore comme un étudiant de cette merveilleuse discipline.
Maintenant, il est certain que ma pratique est grandement influencée par le Japon. Je me sens actuellement dans la phase dite de digestion, où j’essaye de faire le point sur tout ce que j’ai pu apprendre ou manquer à Tokyo. J’ai maintenant une idée claire sur ce que j’ai envie de faire et pas faire en aïkido, quel chemin je souhaite arpenter.
- J'ai lu que ton ukémi était très apprécié au Hombu Dojo et que certains groupes d’étudiants à l’université utilisaient les vidéos des démonstrations que tu faisais avec Kobayashi sensei afin d’étudier ta façon de chuter. Notre thème de la saison étant "La relation Uké/Tori", quels conseils peux-tu nous donner à ce sujet ?
Oui, en effet, c’est une confidence que j’ai apprise bien des années plus tard lors d’un repas avec Kobayashi sensei et des étudiants de l’université. Ces jeunes que je voyais de temps en temps avaient l’habitude de me questionner à chaque repas. J’essayais tant bien que mal de leur répondre mais ce n’était pas facile pour moi d’exprimer une sensation avec des mots japonais. Jusqu’au jour où effectivement ils m’ont appris qu’ils utilisaient ces vidéos pour essayer de progresser dans leur manière de chuter avec Kobayashi sensei.
Des conseils ? Difficile à dire, si ce n’est comme je le répète souvent, d’aller moins vite dans le mouvement, afin d’être mieux à l’écoute de l’autre de ce qu’il donne ou pas, de vraiment privilégier le temps qu’on peut avoir avec son partenaire durant un mouvement. Le travail peut se décomposer en trois phases. La première c’est l’attaque et le point de rencontre, la deuxième le cœur du mouvement et la relation avec l’autre, et enfin la troisième le point de rupture avec souvent une chute. En fait si conseil il y a c’est surtout de ne pas tomber dans une habitude de travail démonstratif où seules les phases une et trois ne comptent, ce qui se caractérise par une attaque et une chute immédiate. Au contraire il faut privilégier au maximum la phase deux car c’est la relation avec l’autre qui nous intéresse et pas la manière de l’envoyer à la chute.
"..la rencontre, la relation et la rupture ..."
- Durant ton intervention de ce soir, tu as privilégié les principes et le ressenti de chacun, plutôt que les techniques et les formes. Est-ce important pour toi ce travail en sensation ?
Oui énormément, car c’est comme ça que beaucoup de sensei transmettent l’aïkido au Japon.
Comme je l’ai déjà dit dans un autre article, en France, de par notre conception pédagogique, nous avons intellectualisé la discipline dans un souci d’intégration à notre culture occidentale. Nous apprenons aux enseignants à enseigner en utilisant des grilles de cours par exemple. Le niveau d’enseignement est aussi important que le niveau technique. Alors c’est très bien !! Cela fait des enseignants bien équilibrés, mais le risque dans tout ça c’est qu'à force de mettre systématiquement des mots sur chaque chose, action ou sensation, on se prive du naturel, de l’intuition et de la surprise et surtout de la recherche par soi même…Des choses qui sont primordiales au Japon.
"..il faut beaucoup de passion, le Japon et la France sont des exemples en la matière ..."
- Ce soir, tu nous as beaucoup parlé de ta pratique au japon et des comparaisons avec l'apprentissage en France. En résumé, quelle est la différence entre un aïkidoka japonais et un aïkidoka français ?
Il n’y a pas beaucoup de différences !! S’ils ont tous les deux le sourire et qu’ils mettent leur partenaire en confiance dans la pratique, alors ça me va !! Malgré les différences de forme technique ou de conception qu’il peut y avoir, ce qui est important, c’est la confiance pour produire un travail de qualité. Le pratiquant au Japon sera plus à l’écoute de la sensation alors que le pratiquant en France sera lui plus attaché à l’explication orale. Au lieu de la différence, je parlerais plutôt des points communs entre les deux et le plus important, c’est sans aucun doute la passion. L’aïkido, même si des gens arrêtent au bout de quelque mois, n’est pas une discipline qui se fait rapidement, ça prend du temps et pour durer dans le temps sur les tatamis, il faut beaucoup de passion, le Japon et la France sont des exemples en la matière.
- Pour illustrer tes propos tu as utilisé, à un moment donné et à la surprise de tous, un fil à plomb ! Utilises-tu souvent ce genre d'accessoires pendant tes cours ?
Oui cela m’arrive, fil à plomb, foulard, corde. J'étais éducateur sportif de métier, avant de partir vivre au Japon. J’ai enseigné le sport dans les écoles où j’avais l’habitude d’utiliser beaucoup de matériel pédagogique avec les enfants. Même pour des adultes, il est bien de donner de temps en temps des repères visuels en accord avec le discours.
"..fil à plomb, foulard, corde ... des repères visuels en accord avec le discours"
- Pour cet interclubs, tu nous as été présenté par Pascal Norbelly sensei. Quels sont tes rapports avec lui et comment vous êtes-vous rencontrés ?
J’ai rencontré Pascal sensei la première fois lors d’un stage qu’il animait, j’avais 18 ans et 4 ans d’aïkido dans les pattes. Je ne pense pas qu’il se souvienne de cette rencontre, j’étais pour lui un petit jeune avec une ceinture blanche comme beaucoup sur le tapis.
Je l’ai ensuite revu régulièrement en stage plusieurs années encore jusqu’à ce que je parte pour Tokyo. De cette première période j’ai gardé le souvenir d’un Pascal Norbelly très à l’aise avec le public, toujours souriant et décontracté. Je parlais un peu plus haut de confiance et bien Pascal Norbelly est de ceux avec qui on a envie de pratiquer, de partager quelque chose le temps d’une technique.
Durant les 8 ans passés au japon, je suis revenu trois fois en France. La première fois, il m’a invité à manger chez lui, et m’a alors confié qu’il essayait de suivre un peu mon parcours malgré la distance. Cela m’a fait plaisir de constater que loin de tout des gens comme lui pensaient un peu à moi. La troisième fois, Pascal Norbelly venait d’être nommé 6eme dan par l’aikikai de Tokyo et tous les ans dans le dojo, il est de coutume d’afficher sur les murs pendant une semaine les noms des nouveaux gradés. Sachant que j’allais en France dans quelques jours, une idée me vint. Peu avant le cours de 15h00 et à l’abri des regards je suis monté sur une chaise trouvée par hasard pour prendre une photo. Une fois arrivé à Paris je me suis empressé de la faire agrandir et de l’encadrer…je pense que c’est un cadeau qu’il a fort apprécié.
"..Pascal Norbelly est de ceux avec qui on a envie de pratiquer ..."
- Pour finir, quelle question aurais-tu aimé que je te pose ? Et quelle aurait été ta réponse ?
Certainement la question que je me pose régulièrement, ai-je fait le bon choix de quitter le Japon pour revenir en France ?
Encore trop tôt pour le dire. Il est vrai que le Japon me manque beaucoup, en 8 ans j’y ai vécu tant de choses. Comme je le disais plus haut quand on quitte une société bien organisée, le retour est plus difficile encore. Ce qui est sûr, que soit au Japon ou en France, j’ai toujours autant de plaisir à partager et à pratiquer l’aïkido avec les gens sur un tatami !
Merci Sébastien pour ces réponses qui viennent compléter le travail que tu nous as présenté lors de ton animation. Nous sommes enchantés et honorés de t'avoir rencontré, ainsi que tes élèves. Ton aïkido, ton enthousiasme et ta bonne humeur ont été très appréciés de tous. Une mention spéciale pour le fil à plomb qui, je pense, restera dans les mémoires !
Un grand merci, une fois de plus, à Pascal Norbelly Sensei, qui a permis cette rencontre !
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