La France s’incline devant Moriteru Ueshiba, le maître de l’aïkido
MAXIME JACQUET
QUOTIDIEN : jeudi 17 juillet 2008

La petite ville de Lesneven (Finistère) draine, chaque année depuis trente ans, un flux d’aïkidokas qui ravit la mairie. Mais cette semaine, pour l’édition 2008, les hôtels de la commune (6 000 habitants) et même les écoles ont été réquisitionnés pour loger plus de 600 aïkidokas (un record) venus de toute l’Europe, parés de leur plus beau keikogi (tenue d’entraînement) venus assister au stage international.

Et pour cause : Moriteru Ueshiba en sera. Rien moins que petit-fils du fondateur de cet art martial créé dans les années 1940. Il est le troisième doshu («maître de la voix» en japonais, le plus haut grade de la discipline). Une sommité.

Pape. De passage à Paris lors de son périple vers la Bretagne, Ueshiba a eu droit à une invitation à déjeuner de l’ambassadeur du Japon en France. Ueshiba, c’est le «Michel-Edouard Leclerc de l’aïkido», dit Yvan Hautefort de la FFAB (Fédération française d’aïkido et de budo), fière organisatrice du stage de Lesneven. La FFAB est une des deux fédérations françaises d’aïkido. L’autre étant la FFAAA (Fédération française d’aïkido, d’aïkibudo et affinitaires). Les deux entités, rivales historiques, ne sont pas d’accord sur tout, mais elles vouent la même admiration au doshu. La preuve, la FFAAA, contactée par Libération, est avare de commentaires sur la visite du maître organisée par sa concurrente dont elle ne souhaite pas faire la publicité. Mais elle tient en revanche à faire savoir qu’elle avait déjà invité le ponte l’an passé. Chacun son tour.

Volontiers qualifié de pape de l’aïkido, le vénérable, que Libération a croisé à Paris, ne goûte pas plus que ça la comparaison avec le Saint-Père : «La religion catholique, c’est la religion catholique. Moi, ma discipline, c’est l’aïkido», dit cet homme d’une soixantaine d’années aux cheveux blancs. La spiritualité est pourtant l’un des piliers de l’enseignement de l’aïkido. Ses principes fondateurs, édictés par O-Sensei, sont habités par l’esprit de la religion shinto : la pratique de la discipline est vécue comme une purification physique et spirituelle. C’est cette rencontre du corps et de l’âme qui séduirait les foules aujourd’hui et les Français en particulier.

La FFAB et la FFAAA comptent plus de 60 000 licenciés. On dit même en France (mais pas trop fort, pour ne pas heurter les Japonais) que c’est autant qu’au Japon. A la différence de beaucoup d’arts martiaux, l’aïkido proscrit toute idée de combat et de compétition. On privilégie l’évolution personnelle et le travail sur soi. Le but n’est pas de nuire à l’adversaire, mais de parer ses tentatives d’agression.

Sabre. La réaction est immédiate, proportionnée. Pas d’attaque, rien que de la défense. Alors que le taekwondo coréen est devenu olympique en 2000 et que le wushu (kung-fu) chinois rêve d’une telle consécration, rien n’irrite plus Ueshiba que l’on qualifie son art de sport. L’harmonie ( en japonais) est le concept central de la discipline ; harmonie entre les êtres, entre l’homme et la nature, entre l’homme et le monde. Le doshu assène ainsi qu’un «bon aïkidoka doit vivre en harmonie avec la société». Mais attention «il ne faut pas croire que l’aïkido est réservé aux intellos», tient à préciser Marcel, habitué depuis quinze ans du stage de Lesneven. Comme beaucoup de licenciés, Marcel est passé par d’autres arts martiaux (le karaté et le judo en l’occurrence). Il insiste sur la dimension physique de la discipline.

Lesneven, c’est lever à 6 h 30. Au programme : maniement du sabre, appelé ïaido. Puis des cours d’aïkido, à mains nues ou armé d’un jo (bâton) ou d’un tanto (couteau en bois). Si les techniques de l’aïkido demeurent inchangées depuis un demi-siècle, son esprit, affirment ses adeptes, a su suivre les évolutions de son temps. Ainsi, la discipline se féminise à grand train (un tiers de participants du stage sont des femmes selon la FFAB), jusqu’à un certain niveau, toutefois. Demandez à maître Ueshiba si une femme pourrait avoir le titre de doshu. Sourire gêné aux lèvres, il vous répondra que «la question ne se pose pas puisqu’(il a) un fils pour assurer (sa) succession». Le doshu n°4 est sur les rails.



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